J'ai toujours été fascinée par les gestes d'un peintre qui prépare sa toile; Il y va de la menuiserie pour le châssis, de la maçonnerie pour l'enduit grossier, de la mise en scène pour établir son trépied au gré de la lumière, puis vient un temps magique, l'ouverture méticuleuse des petits pots de couleurs, il écrase la juste dose sur sa palette, beaucoup de blanc, beaucoup de noir, et entre, toute la palette des coloris encore purs de mélange. Il referme toujours méticuleusement chaque bouchon avec un doigté délicat afin que la pâte ne sèche pas, puis d'un pinceau commence à écraser certaines couleurs entre elles. Tout cela se fait dans un silence paisible comme une méditation, avant que ne jaillisse un trait sur la toile. Ce sont ces instants de grâce que j'ai préféré étant modèle, je ne me sentais ni défigurée, ni sublimée, rien qu'une attention tendre à l'existant, je fixais le point qu'il m'avait indiqué, le menton plus ou moins penché par sa paume ferme et respectueuse, et j'entrais en anesthésie de façon à ne pas souffrir de courbatures. Seul ce lien invisible nous rattachait l'un à l'autre, l'immobilité du modèle qui ne devait s'endormir car il fallait au peintre une présence, même si lui s'absentait en tirant une bouffée de cigarette pour se détendre, dont il écrasait le mégot sur sa palette pour donner une consistance grumeleuse à sa peinture, tout en me tournant le dos: Toi tu n'as pas le droit de bouger! Je veux que tu sois là quand je reviens!
Cette tyrannie me plaisait, comme un ordre amoureux. Cet instant de communion dans une complicité un peu tendue était le sel de notre collaboration, sous jascent l'appât du gain pour l'une, l'espoir d'une oeuvre pour l'autre. C'est le plus beau métier que j'ai exercé!
Chez Walter Lewino j'ai vu une porte merveilleuse, c'était l'entrée de l'atelier de son père qui avait été peintre. Celui-ci avait épongé ses pinceaux sur le bois avec des incrustation plus ou moins profondes, en soi cette porte était un chef-d'oeuvre!
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