Du coeur, il n'en a jamais manqué. Pourtant, le moteur de Pierre Vaneck a flanché : l'immense comédien est décédé ce dimanche 31 janvier au matin, à l'âge de 78 ans. Son organisme n'a pas supporté une intervention cardiaque, comme l'a indiqué son agent, Marie-Laure Munich : "Il est décédé ce matin à l'hôpital des suites d'une opération cardiaque qu'il n'a pas supportée", a-t-elle annoncé, saluant "un immense acteur de théâtre et un homme d'une grande humanité".
En presque 60 ans d'une carrière éclectique qui ne s'est pas privée de conjuguer les expériences (se nourrissant simultanément de cinéma, de télévision et de théâtre), Pierre Vaneck aura presque tout connu ; et, à ce titre, son public lui ressemble. Ou plutôt : ses publics, qui auront apprécié son charisme au fil des registres qu'il a investis, de la série d'anticipation (aïeule française de X-Files) Aux Frontières du possible aux grandes sagas de l'été (Les Coeurs brûlés, Les Grandes marées, Garonne) en passant par le feuilleton Fabien Cosma, du rôle de jeune premier pour Julien Duvivier dans Marianne de ma jeunesse à celui de rugueux patriarche dans le bouleversant Deux jours à tuer de Jean Becker (dans lequel il campait le paternel d'Albert Dupontel en publicitaire hystérique), des classiques théâtraux tels que Jules César par Barrault ou Hamlet par Wilson aux contemporains appelés à devenir des classiques tels que l'Art de Yasmina Reza, qui lui a rendu un vibrant hommage : "C'est quelqu'un qui a beaucoup compté dans ma vie professionnelle. C'était une personnalité humainement très rare, il n'était pas du tout dans le show-biz, c'était un acteur délicieux, une personne attentive. Il avait un fort charisme et en même temps quelque chose d'extrêmement sauvage, qui l'a sans doute privé de l'immédiateté du cinéma", a-t-elle témoigné.
Né le 15 avril 1931 au Vietnam et d'origine belge, Pierre Vaneck (Pierre Auguste Van Hecke, pour l'état civil) n'a en effet jamais perdu le fil conducteur de sa passion pour le théâtre (cliquez ici pour découvrir un entretien accordé avec Georges Wilson, qu'il a accompagné en Avignon en 1964 et 1965), cultivée dès ses jeunes années au cours Simon puis au Conservatoire. Camus, Shakespeare, Julien Green, Giraudoux, Osborne, Shaw : en dépit d'une décennie (les années 1970) moins prolifique, Pierre Vaneck développe sur les planches son aura puissante en traversant les grands classiques, avant de s'orienter vers des textes plus contemporains. Après une incursion, en 1990, dans l'univers de Yasmina Reza, qui se révélait alors avec La Traversée de l'hiver, dans une création à la Colline par Patrice Kerbrat (spectacle récompensé par un Molière en région), Vaneck retrouve la brillante dramaturge ("moliérée" en 1987 pour son indispensable Conversations après un enterrement) pour la pièce qui paracheva sa consécration : Art. Dans cet univers de huis clos exacerbant les contradictions et tropismes qui sous-tendent les rapports humains, Pierre Vaneck, sarcastique et monolithique à souhait, donne la réplique à Fabrice Luchini en amateur d'art à l'exaltation échevelée, et Pierre Arditi en pragmatique ombrageux, pour la naissance... d'un des plus grands classiques des temps modernes, que nous vous proposons de retrouver en vidéo, en version intégrale ci-dessus. 7 ans après son Molière du meilleur comédien pour Le Secret, de Bernstein, Vaneck sera cité une nouvelle fois en 1995 pour ce rôle. Dans les années 2000, il demeure incontournable, qu'il s'agisse de sa participation à Hysteria sous la houlette du génial John Malkovich, de sa composition pour le Déjeuner chez Wittgenstein de Bernhard (qui lui vaut le prix de meilleur comédien attribué par le Syndicat de la critique, ainsi qu'une nouvelle nomination aux Molière), ou encore dans Opus Coeur d'Israël Horowitz. Dernièrement, il s'était illustré sous la direction de Daniel Benoin, dans Rock'N'Roll et A.D.A., L'Argent Des Autres.
Au cinéma, il venait de connaître sa première "marque de reconnaissance" critique, à la faveur de sa nomination en 2009 pour le César du meilleur second rôle dans 2 Jours à tuer, que nous avons évoqué précédemment. Après ses débuts romantiques chez Duvivier, Pierre Vaneck s'installe dans des univers plus "dramatiques", incarnant le berger Manolios dans le peplum christique de Jules Dassin Celui qui doit mourir (1956), René dans le Pardonnez nos offenses à couteaux tirés de Robert Hossein, Tony l'ancien para dans le glauque Une balle dans le canon (1958) de Michel Deville et Charles Gérard, Sylvain dans le pervers manège amoureux de La Morte saison des Amours (1961) de Pierre Kast, réalisateur qu'il retrouvera en 1963 pour Vacances Portugaises et en 1980 pour Le Soleil en face... En 1961, il tourne une première fois avec Jean Becker, pour les besoins de l'excellent film noir Un nommé La Rocca, près de 50 ans avant d'être dirigé à nouveau par le cinéaste pour 2 Jours à tuer - soit les premier et dernier film du réalisateur, en attendant La Tête en friche en 2010. En 1966, René Clément lui fait intégrer la distribution pléthorique (Bébel, Delon, Cassel père, Cremer, Trintigantn, Piccoli, Kirk Douglas, etc.) de la fresque culte Paris brûle-t-il ?. Après une disette ciématographique au cours des années 1970, et de menues apparitions dans la décennie suivante, Pierre Vaneck signe encore quelques rôles remarquables dans les années 1990-2000 mais raréfie son activité pour le septième art : après Vent d'est (Robert Enrico, 1993) ou Là-bas, mon pays (Alexandre Arcady, 1999), il participe à l'étonnant Furia (2000) d'Alexandre Aja (fils d'Arcady) puis au déstabilisant La Science des rêves (2006) de Michel Gondry.
Parallèlement, Pierre Vaneck a entretenu une certaine liaison sentimentale avec le petit écran et le public télévisuel, notamment par sa participation à de multiples fictions en série. Après Aux frontières du possible (cf. précédemment) au début des années 1970, il fait partie des nombreuses personnalités apparaissant dans l'anthologie télévisuelles des Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe, puis s'illustre (après avoir pris part au feuilleton policier italien La Piovra) à partir des années 1990 dans de fameuses sagas : Orages d'été, avis de tempête, Les Coeurs brûlés, Les Grandes marées, Garonne... Son rôle d'André Cosma dans la série Fabien Cosma diffusée sur France 3 lui a également acquis, dans la dernière partie de sa carrière, une grande popularité... Cette belle histoire avec la télévision lui survit d'une certaine manière au travers de ses petits-enfants Thibaut et Aurélie Vaneck, deux des protagonistes de la saga phocéenne à succès Plus belle la vie, une série dont Pierre Vaneck ne cachait pas qu'elle n'était pas sa "tasse de thé", mais qu'il regardait occasionnellement pour le bonheur d'y voir jouer ses chers petits-enfants, que nous imaginons hélas bien en peine aujourd'hui.
Décédé à l'âge de 78 ans, Pierre Vaneck avait encore, malgré les circonstances de sa disparition, du coeur et de l'envie à revendre...
Guillaume Joffroy
lundi, février 01, 2010
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