On l’appelle aussi pervers narcissique. C’est un brillant séducteur, qui ne montre son vrai visage qu’une fois sa proie piégée. Entretien avec Pascal Couderc et Pascale Chapaux-Morelli, auteurs d’un livre qui explore la manipulation affective dans le couple et l’art de celui qui l’érige en arme de destruction
Anna Lietti
Longtemps, pour la psychiatrie, il n’y a eu de pervers que sexuel. Le pervers de la relation, ce vampire propre qui se nourrit de l’énergie vitale de sa proie, n’a été identifié comme figure pathologique que relativement récemment. Pour les victimes de ce virtuose de la manipulation, c’est un grand progrès, puisque son art consiste à détruire l’autre sans laisser de traces. Un livre paraît ces jours en France, destiné à mieux faire connaître au grand public ce qu’on sait du pervers narcissique et comment s’en défendre. Auteurs de l’ouvrage, un psychanalyste spécialiste des addictions, Pascal Couderc, et la présidente de l’Association d’aide aux victimes de violences psychologiques, Pascale Chapaux-Morelli.
Mais d’abord: tous les manipulateurs ne sont pas de grands pervers, précisent les auteurs, qui commencent par se pencher sur la «manipulation ordinaire» dans le couple: le chantage affectif, la culpabilisation, la flatterie ou le dénigrement font presque inévitablement partie de toute relation humaine, constatent-ils. Le pervers narcissique est celui qui met en œuvre cette tactique de manière systématique jusqu’à l’anéantissement de sa partenaire. Eclaircissements.
Le Temps: Dans le cadre des relations «normales», les femmes sont plus manipulatrices que les hommes, affirmez-vous. Pourquoi?
Pascal Couderc: La raison en est probablement historique: les femmes ont été amenées à adopter ce genre de stratégie de par le statut inférieur qui a longtemps été le leur. L’égalité entre époux n’existe en France que depuis 1970…
– Le pervers narcissique, en revanche, est le plus souvent un homme. Là encore: pourquoi?
– Pascale Chapaux-Morelli: Nous partons de l’hypothèse qu’au départ, dans le parcours du pervers narcissique et dans celui de sa victime, il y a une blessure très similaire, liée à un manque d’affect. Et que, face à cette souffrance, le petit garçon et la petite fille tendent à réagir différemment. Elle va continuer à chercher l’amour en réparation. Tandis que lui va prendre en quelque sorte le contre-pied de cette douleur en faisant sa propre loi. Certaines phrases sont récurrentes dans la bouche des femmes qui nous consultent: «Il a beaucoup souffert dans son enfance.» Et: «Il s’est fait tout seul.»
– Il a souffert mais maintenant, il ne souffre plus du tout!
P. C.: Effectivement, il est devenu imperméable aux émotions, c’est le moyen qu’il a trouvé pour ne plus souffrir. C’est un être vide, qui se nourrit de l’autre. Schématiquement: pour se réparer elle donne, tandis que lui, il prend.
– Il prend, mais «son cœur est un puits sans fond», écrivez-vous: il n’est jamais rassasié?
P. C.: Rien ne s’inscrit en lui, si bien que sa satisfaction narcissique est de courte durée, un peu comme le bien-être de l’héroïnomane.
– Ce qui distingue le pervers narcissique du manipulateur ordinaire, c’est sa volonté de détruire l’autre?
P. C.: On ne peut pas dire que ce soit son objectif. Le pervers est plutôt comme le parasite sur la plante: il la tue en s’en nourrissant. Ce n’est ni bien ni mal, seulement nécessaire. Il n’est pas diabolique…
– Comment ça? Il se présente comme le genre idéal, l’homme parfait que tout le monde vous envie, il est un mensonge ambulant!
P. C.: C’est vrai qu’il y a du machiavélisme chez lui. Et une forme d’escroquerie. Car la séduction consiste habituellement à mettre en avant ce qu’on a de meilleur. Lui, il met en avant des qualités qu’il n’a pas.
– Est-il forcément intelligent?
P. C.-M.: Ceux qui ne le sont pas assez tapent directement! Il faut de la subtilité, et une certaine maîtrise du langage, pour fasciner sa victime comme il le fait. D’autant plus qu’il ne s’attaque pas à n’importe qui: il choisit des femmes riches intellectuellement et intérieurement. Sinon, il n’aurait rien à leur voler.
– Riches mais fragiles, comme vous le disiez plus haut?
P. C.-M.: Oui, des femmes qui ont un besoin d’amour un peu plus prononcé que les autres, une petite fragilité supplémentaire que le pervers détecte immédiatement. Et qui explique peut-être que, dans la phase de séduction, elles ne perçoivent pas les petits indices qui auraient pu les alerter. Lorsque leur partenaire se montre sous son vrai visage, elles sont déjà prises au piège.
– Par exemple, elles ont déjà, sur son conseil, abandonné leur travail ou leurs études…
P. C.: Loin de nous l’idée de critiquer des organisations familiales qui fonctionnent très bien avec une mère au foyer! Mais il est vrai que la mise en dépendance fait partie de la tactique du pervers. Avec le dénigrement, l’isolement, l’art d’alterner douceur et violence.
– Vous écrivez que le pervers narcissique «ne change jamais». Comment peut-on dire cela d’un être humain?
P. C.: Pour un psy, c’est terrible! Mais le fait est que les pervers n’ont aucune motivation pour changer puisqu’ils ne souffrent pas. On ne les voit jamais en consultation.
– Donc, lorsque vous voyez arriver un couple en consultation, vous êtes sûr de ne pas avoir affaire à un pervers narcissique?
P. C.: C’est un peu plus compliqué. Le pervers peut accepter de venir pour pouvoir dire ensuite: j’y suis allé mais ça ne sert à rien. Plusieurs de mes patientes sont arrivées en couple et ont continué seules.
– Vous dites que le thérapeute doit rester dans la neutralité. Pourtant, lorsqu’une de vos patientes est confrontée à un pervers, votre conviction est que pour sauver sa peau, elle doit le quitter…
P. C.: Je n’ai jamais dit à une patiente: quittez-le. Il est essentiel que la décision vienne d’elle. Cela dit, face à elle, je suis comme face à un toxicomane: je dois faire preuve d’un certain engagement. Si je m’efface, je ne la revois plus.
– Il y a beaucoup de pervers narcissiques chez les grands intellectuels, dites-vous. Et chez les psys?
P. C.: Aussi, c’est un métier rêvé pour eux! C’est pourquoi il est important, lorsqu’on cherche un thérapeute, de se renseigner et de demander des garanties. On ne choisit pas son psy dans l’annuaire.
* La manipulation affective dans le couple. Faire face à un pervers narcissique. De Pascale Chapaux-Morelli et Pascal Couderc, Ed. Albin Michel, 189 p.
mardi, mai 24, 2011
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