Dessinateur, mais plutôt de concepts, de rêves éveillés et d’énigmatiques allégories. Illustrateur, mais plutôt de paradoxes angoissants et autres questions en suspens. Humoriste, mais d’un humour plutôt glaçant. Depuis l’an 2000, sa vue, amenuisée par la maladie, avait progressivement abandonné Jean Gourmelin, qui ne travaillait plus. Mais son œuvre prolifique, notamment pour la presse et l’édition, continuait à travailler pour lui et ses dessins à perdurer dans la conscience graphique de ses contemporains.
La dernière grande exposition de Jean Gourmelin s’est tenue à la Chapelle Saint-Jacques, à Vendôme (Loir-et-Cher), la ville de ses débuts d’artiste, qui lui rendait hommage il y a quelques jours à peine, du 14 au 25 septembre. Comme s’il s’était agi de l’ultime page à noircir avant la délivrance, il n’y aura pas survécu longtemps. Agé de quatre-vingt onze ans, le dessinateur s’est éteint dans la nuit du samedi 8 au dimanche 9 septembre, à Meudon Hauts-de-Seine, dans la maison de retraite qui l’accueillait depuis deux ans.
Né le 23 novembre 1920 à Paris, seul enfant d’une famille modeste, Jean Gourmelin commence à dessiner, encouragé par un professeur, dès l’école primaire. En 1935, sa famille quitte la capitale pour Vendôme, où son père s’installe comme grainetier et où lui-même sera formé aux techniques du papier peint et de la gravure sur bois par le peintre Charles Portel.
Après un retour à Paris à partir de 1940, notamment pour étudier aux Arts décoratifs, il revient en 1945 à Vendôme, où il commence une collaboration de vingt-trois années, en tant que salarié, chez le célèbre verrier Max Ingrand. Sans les signer, Jean Gourmelin dessine alors certains vitraux de la cathédrale de Rouen, des châteaux d’Amboise et de Blois.
Au fil des années, une série de rencontres amicales va peu à peu l’encourager à prendre son envol. D’abord son cousin Claude Serre, également employé de Max Ingrand et qui deviendra lui aussi un célèbre dessinateur de presse. En 1951, le graveur, critique d’art et typographe Maximilien Vox. Puis, en 1961 l’écrivain Jacques Sternberg et, en 1963, Louis Pauwels, fondateur de la revue Planète qui fera connaître ses dessins à un large public. Mais c’est en 1962 que paraît son premier dessin, dans la revue Bizarre, de l’éditeur Eric Losfeld.
Après le brillant succès rencontré par sa première exposition personnelle à la galerie parisienne Le Tournesol, en 1967, il abandonne le vitrail et s’impose enfin comme dessinateur de presse, bientôt couronné par le Grand Prix de l’Humour Noir en 1969. Tout en publiant ses albums et en multipliant les expositions personnelles, il touche au décor de cinéma, à l’affiche, à l’illustration, et va collaborer très longuement, jusqu’à la fin des années 1990, à de nombreux titres, dont Le Point, Le Figaro, Hara-Kiri, Pilote, Elle, Le Monde, Le Monde diplomatique…
Les matières minérales avec leurs aspérités, le vertige du vide et la fuite du temps composent l’univers où il fait surgir et évoluer ses personnages hiératiques, toujours en position instable ou absurde. Un univers souvent comparé, bien que de style graphique différent, avec celui de Roland Topor, son collègue en humour noir.
«Le plus difficile, avait écrit un jour Philippe Soupault, cité dans le catalogue de l’exposition rétrospective que le Centre Georges Pompidou lui a consacrée en 2008, c’est de découvrir où Gourmelin veut nous conduire. On peut se pencher longtemps sur l’œuvre de cet infatigable dessinateur. Le danger, c’est qu’il peut nous entraîner loin, très loin de notre réalité et du quotidien. Ainsi la méditation sur l’œuvre de Gourmelin est un enrichissement».
Luc Cédelle
23 novembre 1920 Naissance à Paris
De 1953 à 1969, collaboration avec le maître verrier Max Ingrand à Vendôme
1969 Grand Prix de l’Humour Noir
1962 Parution de son premier dessin dans la revue Bizarre
Septembre 2008, exposition au Centre Pompidou
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