Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma
Les acteurs français sont trop payés
par Vincent Maraval, producteur et distributeur (Wild Bunch), 
notamment coproducteur de Film socialisme et de L’Adieu au langage
notamment coproducteur de Film socialisme et de L’Adieu au langage
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L'année du cinéma français est un 
désastre. Pendant que Gérard Depardieu fait l'actualité et que les 
ministres rivalisent d'esprit pour en faire le scandale du moment et 
dénoncer son exil fiscal à 2 km de la frontière d'un pays dont il ne se 
sent "plus faire partie", personne ne parle du cinéma 
français. Or tous les films français de 2012 dits importants se sont 
"plantés", perdant des millions d'euros: Les Seigneurs, Astérix, Pamela Rose, Le Marsupilami, Stars 80, Bowling, Populaire, La vérité si je mens 3, etc.
Pas un film, sauf peut-être Le Prénom,
 pour gommer ce que toute la profession sait pertinemment, mais tente de
 garder secret: le cinéma français repose sur une économie de plus en 
plus subventionnée. Même ses plus gros succès commerciaux perdent de 
l'argent.
Constat unanime: les films sont trop 
chers. Après les films des studios américains, la France détient le 
record du monde du coût moyen de production: 5,4 millions d'euros, alors
 que le coût moyen d'un film indépendant américain tourne autour de 3 
millions d'euros. Ce coût moyen ne baisse jamais, alors qu'il y a 
toujours plus de films produits, que le marché de la salle stagne, que 
la vidéo s'écroule et que les audiences du cinéma à la télévision sont 
en perpétuel déclin face à la télé-réalité et aux séries.
Mais alors, pourquoi s'émouvoir ainsi 
sur le cas Depardieu? Pourquoi ce déchaînement médiatique et politique? 
Sans doute parce qu'il y a là un vrai scandale d'ordre plus général. On 
le sait, l'époque aime les cas particuliers. Mais le scandale qui nous 
intéresse les dépasse largement. Il est d'ordre systémique. On peut 
s'étonner de voir nos ministres s'en laver les mains.
Pourquoi si peu de voix s'en 
saisissent-elles dans le milieu du cinéma? Parce qu'il n'y a rien de 
nouveau sous le soleil? Que Delon, Hallyday et autres agissent de même 
depuis longtemps? Dany Boon, par exemple, ce chantre de la France 
profonde qui vit à Los Angeles, obtient des sommes qui laissent un 
Gérard Depardieu sur le carreau, ratatiné. 3,5 millions d'euros pour Le Plan parfait, dont les entrées ne seront pas suffisantes pour payer son salaire! Un million pour quelques minutes dans Astérix, film qui fait exploser le ratio entrées/cachet/minute à l'écran...
Malgré ses récents échecs, grâce au 
miracle du système de financement du cinéma français, Dany Boon 
s'apprête aujourd'hui à attaquer son nouveau film, Hypercondriaque,
 pour lequel on parle d'une somme proche de 10 millions d'euros. Ce 
texte ne se transformera pas en lettre de dénonciation, je ne nommerai 
que ceux qui ont fait leur coming-out fiscal. Mais ils sont nombreux, 
qui se disent à gauche, dénoncent les injustices, mais au fond n'en 
voient qu'une seule: leur niveau d'imposition.
Mais pourquoi, au fond, les acteurs 
seraient-ils pires que les sportifs? Parce que leur carrière est 
potentiellement plus longue? Non, le seul scandale, le voilà: les 
acteurs français sont riches de l'argent public et du système qui 
protège l'exception culturelle. À part une vingtaine d'acteurs aux 
États-Unis et un ou deux en Chine, le salaire de nos stars, et encore 
plus le salaire de nos moins stars, constitue la vraie exception 
culturelle aujourd'hui.
Pourquoi est-ce qu'un acteur français de
 renom, qu'il se nomme Vincent Cassel, Jean Reno, Marion Cotillard, Gad 
Elmaleh, Guillaume Canet, Audrey Tautou, Léa Seydoux, touche pour un 
film français – au marché limité à nos frontières – des cachets allant 
de 500 000 à 2 millions d'euros, alors que, dès qu'il tourne dans un 
film américain, dont le marché est mondial, il se contente de 50 000 à 
200 000 euros? Pourquoi, par exemple, Vincent Cassel tourne-t-il dans Black Swan (226 millions d'euros de recettes monde) pour 226 000 euros et dans Mesrine
 (22,6 millions d'euros de recettes monde) pour 1,5 million d'euros? Dix
 fois moins de recettes, cinq fois plus de salaire, telle est l'économie
 du cinéma français.
Savez-vous que Benicio Del Toro, pour le Che, a touché moins que François-Xavier Demaison dans n'importe lequel des films dans lesquels il a joué? Que Marilou Berry, dans Croisière, touche
 trois fois plus que Joaquin Phoenix dans le prochain James Gray? Que 
Philippe Lioret touche deux fois plus que Steven Soderbergh et sept fois
 plus que James Gray ou Darren Aronofsky? Pourquoi s'en priveraient-ils?
Et pourquoi Depardieu est-il le salaud? Lui qui fait Mammuth gratuitement pour permettre au film d'exister et propose de faire la même chose pour DSK de
 Ferrara. Pourquoi Vincent Cassel, qui met son argent et son énergie au 
service de jeunes talents comme Kim Chapiron ou Romain Gavras, serait-il
 plus coupable que le système?
L'explication, jamais le Centre national
 du cinéma et de l'image animée (CNC) ni la ministre ne l'ont fournie: 
la subvention directe dont jouit le cinéma français (chaînes publiques, 
avances sur recettes, aides régionales), mais surtout la subvention 
indirecte (l'obligation d'investissement des chaînes privées). Voilà 
pourquoi tous les échecs de 2012 mentionnés ci-dessus n'ont guère ému la
 profession, et que ceux-ci n'ont pas suscité d'articles de fond. Et 
pourtant, rendez-vous compte! Sur le top 10 des films d'une économie qui
 en concerne 220, un seul est rentable!
Il est vrai, les scores de ces films ne sont pas honteux: 6 millions d'entrées pour le Marsupilami, 4 millions pour Astérix ou La Vérité si je mens, 3 millions pour Les Seigneurs, 2 millions pour Stars 80, 1 million pour Populaire...
 Ils sont même bons dans l'absolu, et il est probable que le niveau 
d'entrées 2012 ne va guère baisser par rapport à 2011, la fameuse année 
d'Intouchables. Mais ce sont tous des échecs économiques parce qu'ils coûtent beaucoup trop cher.
Astérix, à 60 millions d'euros, a le même budget qu'un film de Tim Burton. Voilà qui laisse rêveur... Stars 80 plus cher que The Hangover ou Ted. Ça laisse pantois... Et tout autant Populaire, plus cher que Black Swan ou Le Discours d'un roi!
 La responsabilité de cette situation n'est pas à chercher, hélas! dans 
une supposée incompétence de nos producteurs, mais dans ce que les 
Américains appellent le "above the line" ("surévaluation"), les cachets 
qui font de nos talents, inconnus au-delà de nos frontières, les mieux 
payés du monde.
Mais à quoi servent de tels cachets si 
les résultats ne se matérialisent pas en recettes économiques? En 
réalité, ils permettent d'obtenir le financement des télévisions. Black Swan
 se finance sur le marché. Il n'y a dans son financement aucune 
obligation, aucune subvention, l'acteur est donc payé pour ce qu'il 
vaut, 226 000 euros. Mesrine, en revanche, a besoin de ce 
financement pour exister, ce qui explique que l'acteur se retrouve avec 
un pouvoir de vie ou de mort sur le projet, et ce en fonction de sa 
valeur télé. Il réclame donc sa part du gâteau. Lui sera payé entre 1 et
 1,5 million d'euros. Qui peut l'en blâmer? Cela devrait vouloir dire 
qu'il touche là le fruit de sa notoriété sur le marché télévisuel. Sauf 
que le cinéma enregistre des contre-performances à la télévision. Sans 
les obligations légales issues de notre système public de financement, 
il y a bien longtemps que Les Experts et la Star Ac auraient réduit à néant les cases Cinéma des chaînes de télévision.
Est-ce à l'individu qu'il revient de 
"réguler" le système sous peine d'être jeté à la vindicte publique comme
 Gérard Depardieu, ou est-ce au CNC et à son ministère de tutelle de le 
faire? À l'heure où François Hollande veut que les patrons des grandes 
entreprises publiques limitent leurs salaires, laissera-t-on les "hauts 
salaires" du cinéma gagner plus qu'ils ne valent, et ce grâce à de 
l'argent public, à un système unique, exceptionnel de financement? 
Est-il normal qu'un Daniel Auteuil, dont les quatre derniers films 
représentent des échecs financiers de taille, continue à toucher des 
cachets de 1,5 million d'euros sur des films coproduits par France 
Télévisions?
Le fameux système d'aide du cinéma 
français ne profite qu'à une minorité de parvenus. Mais jamais cela ne 
provoquera un scandale aussi retentissant que l'exil fiscal de Gérard 
Depardieu. Les miettes que laisse ce système réduisent en effet au 
silence ceux dont le rôle serait de pousser l'analyse.
Une idée simple: limitons à 400 000 
euros par acteur – et peut-être un peu plus pour un réalisateur –, 
assorti d'un intéressement obligatoire sur le succès du film, le montant
 des cachets qui qualifient un film dans les obligations légales 
d'investissement des chaînes de télévision. Qu'on laisse à Dany Boon un 
cachet de 10 millions d'euros, si telle est véritablement sa valeur 
marchande. Mais alors que ce soit en dehors de ces obligations. Et 
redonnons ainsi à notre système unique et envié sa vertu en éliminant 
ses vices.
Vincent Maraval (texte paru dans le quotidien du soir, 28/12/2012)
http://susauvieuxmonde.canalblog.com/
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