Jacques Sternberg est né en 1923, à Anvers, de parents juifs. De ses années d'école il se dira "cancre reconnu, nul dans toutes les disciplines scolaires, je n'ai jamais réussi à passer mon bac". Il se met à à écrire vers l'âge de quinze ans et se lance rapidement dans le fantastique et le burlesque. La science-fiction viendra un peu plus tard. Il commence par exercer le métier d'emballeur dans une cartonnerie et va s'installer à Paris, espérant se faire éditer. Il lui faudra attendre le succès durant sept ans. Son premier ouvrage, La géométrie de l'impossible, paraît en 1953, ainsi qu'un roman, Le délit. A partir de ce moment il publiera régulièrement des essais, des chroniques, deux pièces de théâtre. En 1967, Alain Resnais fait appel à lui pour écrire le scénario de Je t'aime, je t'aime, et c'est également le début pour Sternberg de ses chroniques - corrosives- dans le Magazine littéraire et dans France-Soir. A partir de 1984 il abandonne le roman, arrive aux éditions Denoël où il n'écrira plus que des contes brefs. Le temps que Jacques Sternberg ne consacre pas à la littérature, il le passe dans la solitude des mers, à bord de son bateau.
Toi, ma nuit, écrit en 1965, est une plongée dans le monde des années nonante. Plus exactement en 1995, dix ans après la guerre de 1985. Cette guerre, qui n'a duré qu'une seule nuit, a bouleversé l'humanité et détruit toutes les valeurs sur lesquelles reposait la société. Les hommes, complètement perdus, cherchent un nouvel idéal.
Et cet idéal, c'est un livre qui le leur fournit : Le sexe est notre glaive de von Kieffer, d'où naît le Kiefferisme. La théorie est simplissime : le bonheur, c'est le sexe. Et c'est ainsi que la sexualité devient "non seulement la force motrice qui dirige le monde, mais une véritable métaphysique" (p.35). "Le monde est devenu, peu à peu, une gigantesque chambre à coucher où chacun fait désormais l'amour avec autant de désinvolture que s'il fumait une cigarette"(p.42).
L'amour n'a plus de sens, seul compte le plaisir. Tout le monde couche avec tout le monde et personne ne songe plus à refuser, car un refus, ou même le fait de recommencer plusieurs fois avec la même personne, serait considéré comme pathologique.
Le narrateur, lui, se trouve décalé par rapport à ce système. La surconsommation de sexe le dégoûte, et tout le côté superficiel, voire vide, de cette société. Ce sentimental préfère, plutôt que d'aller voir les films à la mode comme Suzanne, ouvre-toi ou Bonjour Luxure, s'offrir d'éternels classiques qu'il a vu au moins vingt fois. Il écoute de vieux trente-trois tours d'autrefois, méprisant la musique actuelle qu'il trouve obscène et vulgaire. Il n'aime pas la ville et sa pollution, il n'aime pas la vitesse et, plutôt que d'utiliser une voiture comme tout le monde, lui préfère un vieux solex. Il n'aime pas non plus son métier, qui consiste à créer des publicités, car on ne lui demande que de convaincre le consommateur par le sexe.
Et cet homme, différent des autres, va tomber amoureux.
Il va redécouvrir l'amour que, comme tout un chacun, il avait oublié. Il va aimer Michèle, jeune femme si étrange et tellement attirante, sans plus aucun point de repère, mais acceptant la souffrance que cet amour unique implique. Prévoyant depuis le début le danger d'un relation aussi passionnée, il dira oui à ce que les autres refusent, sans jamais faire marche arrière.
Toi, ma nuit, s'il n'est pas à proprement parler un roman d'anticipation, annonce clairement la révolution sexuelle des années soixante et septante et dénonce une certaine banalisation de la sexualité, favorisée au détriment de l'amour plus spirituel.
Est présente également la dénonciation d'un phénomène extrêmement répandu ces dernières années, celui de la surconsommation en général : "Dès que l'on a mis le doigt dans l'engrenage, que ce soit un bar, un train ou un garage, on a immédiatement le bras entier happé dans un redoutable cliquetis qui annonce la goinfrerie rapace de l'époque. Il faut consommer de gré ou de force, à chaque pas, à chaque instant. Consommer, que ce soit du jus de fruit ou de la fesse d'occasion, du steak ou de la littérature hachée" (p.18).
Dans Toi, ma nuit, nous trouvons des phrases simples et concises, un style nerveux et poignant qui nous percute et nous emporte dans un monde angoissant.
Nous retrouvons dans cette oeuvre certains traits caractéristiques de Sternberg : humour noir, cynisme, dérision, pessimisme, lucidité, suspicion vis-à-vis des valeurs imposées par la société. La mort aussi, est fort présente, alliée à un certain nihilisme certainement dû pour une bonne part à l'expérience de la guerre qu'il a connue alors qu'il avait seize ans, expérience de la souffrance, du sadisme et de la mort de son père.
Sternberg est avant tout un écrivain déroutant, qui nous pousse à nous remettre en question.
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jeudi, octobre 19, 2006
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