mardi, décembre 18, 2007

www.lalalala.org/ Didier Dahon - Jérôme Reybaud

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L'éditorial de décembre 2007

Vous n'avez jamais chanté une seule chanson de Barbara ? Vous n'avez d'ailleurs aucune affinité particulière avec, ne disons pas son oeuvre, mais seulement son univers ? Ou mieux encore, vous ne savez pas chanter du tout ? Alors vous avez toutes les qualités requises pour lui rendre un bel hommage en participant à l'une ou l'autre des grandes festivités organisées ici ou là pour les "dix ans de sa mort"(1). Bien sûr il vous faudra également être une vedette (si possible de la "nouvelle scène de la chanson française"), mais cela va sans dire. Car c'est bien là le véritable critère qui vous rendra légitime et vous permettra de venir expliquer aux (télé)spectateurs combien vous aimez Barbara - ou tout autre artiste mort selon son actualité : Sandrine Kiberlain par exemple, qui déclare son amour de Barbara en 2007 sur la scène du théâtre des Variétés, adorera peut-être Brel en 2008 lors du trentième anniversaire de sa mort, et Gainsbourg en 2011, pour le vingtième anniversaire de sa mort, à condition que l'on connaisse encore son nom à cette date-là...
Certes il y eut Mathieu Rosaz, qui sait de quoi il chante, puisqu'il interprète Barbara depuis longtemps ("Perlimpinpin" au théâtre des Variétés), ou encore Jean Guidoni. Cependant, pour ces quelques lueurs, combien de versions pour rien ? Natacha Régnier incapable d'une note juste ? Muriel Robin incapable d'une note (mais ostentoirement profonde) ? Sandrine Kiberlain incapable tout court lors d'un "Mal de vivre" massacré ? Agnès Jaoui apparemment peu gênée par ses hurlements grotesques sur "L'Aigle noir" ? Ou encore, plus justes, plus "propres" mais d'un ennui terrible, Raphaël ("Une petite cantate"), Vincent Delerm ("Mon enfance"), Olivia Ruiz ("Gueule de nuit")... lesquels, qu'ils soient sincèrement amoureux des chansons de Barbara ou pas, semblent tout simplement incapables de les interpréter, c'est-à-dire de les faire exister en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Peut-être croient-ils qu'il suffit pour chanter Barbara ou toute autre titre du répertoire de mettre son visage, sa voix, son chant (et tous ses tics éventuels) sur la table et de chanter les notes ? Peut-être ne cherchent-ils qu'à être le plus entièrement eux-mêmes dans la chanson d'un autre ? Peut-être que l'idée même de devoir se quitter soi-même un peu pour tenter de rejoindre Barbara ou Trenet leur est-elle totalement étrangère ? Quoi qu'il en soit, Raphaël chantant Barbara sonne exactement comme on peut s'y attendre, et lorsque l'on entend Raphaël chanter Barbara, on n'obtient rien de plus que lorsque l'on lit sur une feuille de papier ces trois mots-là : "Raphaël chante Barbara". Et quoi de plus logique finalement qu'Olivia Ruiz reste Olivia Ruiz sans réussir à devenir une interprète (même occasionnelle) de Barbara, si sa pratique des mots et des notes de la dame brune dépend uniquement d'un événement médiatique parmi mille autres, si son "Gueule de nuit" n'existe que dans la précipitation et par la volonté d'un programmateur habile qui cherche à utiliser les "nouveaux talents" pour "moderniser" les anciens ? Car, sauf exception, sauf génie particulier, il faut du temps pour apprendre à connaître une chanson du répertoire ou d'un auteur, pour laisser les mots infuser, les compositions décanter et les chansons advenir dans son propre gosier, à la fois nouvelles et identiques, fidèles et différentes, personnelles et impersonnelles... Jeanne Cherhal est, aujourd'hui du moins, incapable de faire ce travail-là, mais elle appartient à la célèbre famille de la "nouvelle chanson française". Annick Cisaruk l'accomplit chaque jour et en donne la preuve chaque semaine à des spectateurs ébahis, mais elle n'appartient pas - à personne ni à aucun groupe. Laquelle croyez-vous que les éminences grises des festivités sollicitèrent pour célébrer le dixième anniversaire de la mort de Barbara ?
Malheureusement Barbara laisse faire. Elle accepte même que l'on tronçonne son "Aigle noir" (une phrase pour Anne Sylvestre, une pour Marie-Paule Belle, ainsi de suite jusqu'à épuisement de la chanson dans le néant et l'insignifiance). Il faut dire que les morts ne sont pas contrariants. Ils disent toujours oui à tout avec un petit sourire absent. Mais les vivants qui se souviennent de leur voix et entretiennent leur flamme silencieusement, se lassent d'une telle gentillesse au point qu'ils finiront peut-être, un jour, par les détester d'être si accommodants, ou, pire, par ne plus les entendre derrière la gangue épaisse et rebutante des hommages. Alors il est temps que les morts daignent interrompre leur paisible repos pour rappeler à l'ordre et surtout au silence les fats dont les prétendues marques d'attention les défigurent.

1 Sont évoqués ici les "événements" suivants :
- Une cantate pour Barbara, concert d'hommage à Barbara dans le cadre du Sidaction, théâtre des Variétés, le 26 novembre 2007
- On connait la musique : Rappelle-toi Barbara, une émission de Thierry Lecamp pour Europe1, le 25 novembre 2007
- Souviens-toi Barbara, théâtre du Châtelet, le 7 décembre 2007


La surprise de décembre 2007

Nana Mouskouri et Michel Legrand

"Et si demain"
(Michel Legrand / Eddy Marnay)

EP Philips 437 111 BE
1965

En 1965 Michel Legrand est à son plus lyrique, son plus échevelé, son plus romantique, et c'est merveille qu'un directeur artistique ait eu l'idée de lui faire enregistrer un disque avec l'une des plus classiques, des plus réservées, des plus distantes des chanteuses d'alors : Nana Mouskouri. Leur quatre duos constituent l'une des plus paradoxales associations de sensibilités et de styles que la variété nous ait donné à entendre, comme le montre "Et si demain", où Nana Mouskouri parvient à garder sa simplicité un peu blanche tout en variant les couleurs de sa voix au gré des volutes et des embardées de la musique de Michel Legrand (et du texte de Marnay). Son "Il aura ton nom" en particulier, sur une phrase de violons et de flûtes que Legrand reprendra et développera dans Peau d'âne, est d'une grande beauté. Universal n'a jamais publié en disque compact la totalité cet EP (sauf dans l'intégrale de trente-quatre disques de 2004, non disponibles séparément), dont on retrouve parfois un titre ou deux ("Quand on s'aime" et "Connais-tu") dispersé sur l'une ou l'autre des mille et une compilations de Nana Mouskouri ou de Michel Legrand.
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