Le triomphe d'Haneke
Gary Lineker expliquait un jour que le football était un sport qui se jouait à 11 et où à la fin l'Allemagne gagnait. Cette définition peut désormais s'appliquer au Festival de Cannes et à
Michael Haneke. Grand Prix du Jury en 2001 pour
La pianiste, Prix de la mise en scène en 2005 pour
Caché, il rejoint le club très fermé des réalisateurs doublement palmés, au côté de Bille August, Francis Ford Coppola, Shohei Imamura, Emir Kusturica et des frères Dardenne. Puisque trois ans après
Le ruban blanc, il décroche de nouveau le prix suprême avec
Amour, grand favori des pronostics depuis plusieurs jours et dont une standing ovation a accueilli le triomphe ce soir. Il faut dire que cette histoire d'amour d'un couple d'octogénaires mise à l'épreuve par l'accident cérébral de la femme de celui-ci constitue sans doute l'un des sommets de sa carrière. Son oeuvre la plus bouleversante en tout cas, sans jamais verser dans le mélo lacrymal. L'image d'Haneke sur scène avec ses sublimes comédiens
Jean-Louis Trintignant et
Emmanuelle Riva restera comme le moment fort de cette soirée.
L'absence des films français
Le cinéma français tombe de haut. Accueillis plutôt avec enthousiasme et salués en tout cas pour leur puissance ou leur originalité,
De rouille et d'os de Jacques Audiard,
Holy motors de Leos Carax et
Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais repartent totalement bredouille. On est loin de l'an passé où avaient triomphé
Polisse et Jean Dujardin. Et si l'on peut imaginer que le jury n'ait pas été sensible aux singuliers chemins empruntés par Carax ou Resnais, l'absence totale d'Audiard reste un mystère. Comme si son triomphe en salles et l'excellent accueil de la presse -surtout française mais aussi étrangère- avaient constitué un handicap.
Le zéro pointé des films américains et des stars
Avant louverture du Festival, on louait le retour en force du cinéma américain en compétition. Mais au vu du palmarès de ce soir, Thierry Frémaux va sans doute devoir ramer l'année prochaine ! Alors que la Palme d'Or 2011 avait été décernée à
Tree of Life,
Paperboy, Cogan - La mort en douce et
Mud n'ont pas décroché le moindre prix. Est-ce parce que ces films, dont aucun n'a enthousiasmé la critique, ressemblaient tous à des oeuvres déjà existantes sans apporter ce petit plus qui fait la différence? Est-ce la conséquence de l'anti-américanisme prêté à Moretti? Est-ce parce qu'on aurait plus imaginé la plupart figurer hors compétition? En tout cas, leur absence donne lieu à un palmarès beaucoup plus pointu que l'an dernier et totalement dénué de stars, comme en témoignent notamment l'absence -outre Nicole Kidman pour
Paperboy- de Kristen Stewart pour
Sur la route et Robert Pattison pour
Cosmopolis. Il est vrai que les nouveaux Cronenberg et Salles n'ont pas été les événements attendus sur la Croisette.
La surprise des prix dinterprétation
On attendait
Marion Cotillard et
Matthias Schoenaerts, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. D'autres penchaient pour
Nicole Kidman. Et Moretti a sorti de son chapeau deux surprises. Côté masculin,
Mads Mikkelsen, formidable acteur de Nicolas Winding Refn a triomphé pour
La Chasse de Vinterberg où il campe un homme accusé à tort de pédophilie. Un film aimé de la presse étrangère et hué par leurs collègues français. Et côté féminin, le prix a récompensé deux débutantes, les roumaines Cristina Flutur et Cosmina Stratan, héroïnes plus que convaincantes de
Au-delà des collines de Christian Mungiu qui cherchait pour ce film des interprètes "qui pourraient donner l'impression à l'écran d'être des gens simples, peu instruits et originaires de la campagne." Soit un grand écart avec Kirsten Dunst primée l'an dernier pour
Melancholia. Comme si Moretti avait voulu jouer au président "normal"
Le règne des cumulards
Peu généreux dans ses prix, le jury n'a pas accordé de prix du 65e anniversaire, comme le règlement lui en laisse l'opportunité à chaque anniversaire. Rares sont ceux qui n'ont pas usé de ce droit dans le passé. Et on peut donc aisément imaginer que Moretti et sa bande n'ont goûté que peu de films de cette sélection. Et ce d'autant plus qu'ils ont surtout choisi de ne pas s'aventurer hors des sentiers battus et de primer des cinéastes déjà récompensés par le passé sur la Croisette. Palmé en 2007 pour
4 mois, 3 semaines et 2 jours, Cristian Mungiu repart avec le prix du scénario pour
Au-delà des collines. Palme d'Or 2006 avec
Le vent se lève, Ken Loach reçoit son troisième Prix du Jury pour
La Part des anges après
Hidden Agenda en 1990 et
Raining Stones en 1993. Avec
Reality, Matteo Garrone empoche, lui, son deuxième Grand Prix du Jury, quatre ans après
Gomorra. Et Carlos Reygadas est primé pour sa mise en scène de
Post tenebras lux, cinq ans après son prix du jury pour
Lumière silencieuse. En consacrant le film le plus honni par les festivaliers si l'on en croit le tableau des notes distribuées par la presse -auquel Reygadas a d'ailleurs fait allusion dans son discours-, le jury de Moretti fait en le couronnant un vrai bras d'honneur aux festivaliers. Et confirme qu'être détesté par les critiques vous rend plus facilement primable.
Le grand chelem d'un distributeur français: Le pacte
Un homme doit avoir le sourire ce soir: Jean Labadie, le patron de la société de distribution Le pacte. Celle-ci sortira en salles dans les mois prochains pas moins de quatre des films primés ce soir:
La part des anges, Reality, Post tenebras lux -qu'ils ont co-produit- et
Au-delà des collines. Le clin d'oeil -qui sera forcément mal interprété par les esprits toujours mesquins qui peuplent ce métier- est que Le pacte a aussi été le distributeur d'
Habemus Papam de Nanni Moretti, l'an passé mais qui, lui, avait été absent du palmarès!