mercredi, février 25, 2015

Depuis hier, j'ai avancé d'un pas! Le Fond du Tiroir » La grâce de Dorothée Blanck www.fonddutiroir.com/blog/?p=8868

Le Fond du Tiroir » La grâce de Dorothée Blanck www.fonddutiroir.com/blog/?p=8868
 Eh oui! quatre vingt et un ans; Je découvre l'article de Fabrice Vigne comme cadeau d'anniversaire on ne fait pas mieux!
La grâce de Dorothée Blanck

Je viens de voir, pour la seconde fois à 30 ans d’écart, Cléo de 5 à 7. On prend toujours un risque à revisiter une oeuvre, un classique, livre comme film, jalon dans l’histoire, y compris la nôtre, voilé, presque caché par son halo, on est prêt à remettre les pendules sur les i, on se demande si vraiment c’était si bien que ça. Eh bien, c’était si bien que ça. Le film est extraordinaire, et intemporel. L’émotion y est intacte, la beauté aussi. Agnès Varda est toute petite, un peu voûtée, mais elle est colossale, plus grande que tous les autres. Non seulement elle a inventé la Nouvelle vague des années avant ces messieurs (La pointe courte date de 1954), mais elle a inventé autre chose à chacun des films suivants. Là par exemple, dans Cléo, elle invente le cinéma en temps réel avec horloge incrustée dans l’écran : on peut donc affirmer qu’Agnès Varda a inventé Jack Bauer.
Point commun entre Varda et Kubrick : tous deux sont venus au cinéma par leur pratique de la photographie. C’est sans doute pour cette raison que chaque scène, chaque plan, chaque image de leurs films sont intéressants à regarder, ont une beauté spécifique, chaque photogramme est une fin en soi. En revanche cela n’explique pas pourquoi leurs films, chacun dans son ensemble, et non plus détail par détail, sont tous passionnants dans la profondeur, dans le mouvement, le kinéma, il fallut pour cela un génie spécifique.
L’apparition la plus éblouissante de Cléo n’est pas tant celle de l’héroïne que celle de sa copine. Cléo, interprétée par Corinne Marchand, est évidemment touchante, poupée blonde et narcissique brisée de l’intérieur, mais elle serait presque fade comparée à son double inversé, cette autre fille plus simple et plus rayonnante, dépourvue de peur, d’orgueil, de pudeur, d’égo, de mélancolie, leçon de bonheur sur deux jambes : Dorothée.
Dorothée Planck, que Varda a choisie parce qu’elle l’avait d’abord photographiée (et filmée), surgit immobile à la 50e minute de son film, de dos, toute nue, puis, lorsqu’enfin elle s’anime, se retourne pour nous faire une une grimace, moment de pure grâce. À Cléo, un chouïa coincée des mches, qui lui demande si cela ne la dérange pas de poser ainsi nue pour des artistes, estimant « Qu’on est encore plus nu que nu devant plusieurs personnes, j’aurais peur qu’on me trouve un défaut… », Dorothée répond en riant « Quelle idée ! C’est rien, ça… Moi, je suis heureuse de mon corps, pas orgueilleuse. Quand ils me regardent, je sais bien qu’ils recherchent autre chose que moi, une forme, une idée, je ne sais pas… Alors c’est comme si je m’absentais. Comme si je dormais. » Après une telle déclaration d’intention, c’est de façon tout aussi naturelle qu’elle s’en elle va rendre visite à son petit ami qui, je vous le donne en mille, est projectionniste de cinéma.
Malgré sa filmographie, Dorothée Blanck, dans une interview plus tardive, ne prétend pas être une actrice mais « un modèle », voire, terme plus fort mais moins polysémique, « une égérie ». De fait, elle n’est qu’elle-même dans ce film, comme dans d’autres (voyez ce court-métrage), d’ailleurs son personnage s’appelle Dorothée, mais le spectacle est suffisant pour qu’on tombe amoureux d’elle. Quand ils me regardent, je sais bien qu’ils recherchent autre chose que moi, une forme, une idée… On dirait que tous les films où a joué Dorothée Blanck sont, en fait, des documentaires sur l’incroyable Dorothée Blanck, sa forme, son idée, modèle gracieux, incarnation de la femme libre et joyeuse, éternellement joyeuse et libre, d’autant plus libre, d’autant plus joyeuse, qu’elle est née en prison, en 1934 – ses parents, l’un communiste et l’autre juif, étant enfermés dans une geôle nazie de Bavière. Ce n’était que le début. Sa vie a été longue et bizarre. Mais libre et joyeuse.
Or sa vie continue. Son blog palpite encore, quotidiennement. On peut lire sur ce blog, à la date du 21 décembre 2012 (souvenez-vous, c’était la fin du monde), « J’ai appris aujourd’hui avoir mon petit cancer ». Et oui, comme l’héroïne de Cléo de 5 à 7.
Mais ce n’est pas tout, il y a mieux encore, le miracle Internet dont on ne saurait se blaser. Dorothée écrit des livres. Dont un recueil de ses rêves. Comme le récit de rêves est l’une de mes marottes, je m’empresse de lui écrire pour lui demander comment me le procurer, et j’en profite pour lui raconter l’effet qu’elle me fait. Cette jeune fille de 80 ans me répond dans l’heure, Merci, c’est vraiment gentil à vous tous ces compliments, et je suis émerveillé comme devant une statue qui se mettrait en marche.

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