jeudi, octobre 19, 2006

Sophie, la mer et la nuit, (Albin Michel) LeMonde Article paru dans l'édition du 15.10.06


L'écrivain Jacques Sternberg est mort à Paris, mercredi 11 octobre, à l'âge de 83 ans. C'est l'une des personnalités les plus singulières des lettres françaises qui vient ainsi de disparaître.

Jacques Sternberg était né à Anvers, en Belgique, le 17 avril 1923. Après des débuts littéraires en 1945 (La Boîte à guenilles, Jamais je n'aurais cru cela), il lance, en 1955, un fanzine, Le Petit silence illustré, où il publie des textes de la nouvelle vague de la science-fiction française, dont il est l'un des membres les plus éminents (Gérard Klein, Curval, Dorémieux), mais aussi de Pierre Bettencourt ou de Thomas Owen. Il y montre son intérêt pour la science-fiction, à laquelle il consacre une étude en 1957, Une succursale du fantastique nommée science-fiction, et pour l'humour. Il concilia souvent les deux dans ce qui est incontestablement sa grande spécialité : le conte court avec chute au rasoir.

Ces textes de SF, d'un humour souvent très noir, ont été réunis dans plusieurs recueils : La Géométrie dans l'impossible (1953), La Géométrie dans la terreur (1958), Entre deux mondes incertains, Univers zéro, Futurs sans avenir et 188 contes à régler. Il a également signé un roman de SF, La sortie est au fond de l'espace, dans la collection "Présence du futur", et un roman de SF érotique, Toi ma nuit, chez Losfeld, qui le réédita à de nombreuses reprises. Jacques Sternberg a été le scénariste de Je t'aime, je t'aime, le beau film d'Alain Resnais sur le thème du voyage dans le temps. Il a pris par la suite ses distances avec le genre, mais il a gardé tout au long de sa carrière d'écrivain un goût prononcé pour l'insolite et l'étrange.

Parallèlement à ses textes conjecturaux, il a écrit une suite de romans qui confrontent leur protagoniste à l'absurdité du monde et qui sont autant de satires acerbes de notre moderne civilisation : Le Délit (Plon), L'Employé (Editions de Minuit), La Banlieue (Julliard), Un jour ouvrable (Losfeld).

VEINE PSYCHOLOGIQUE

L'humour est un domaine dans lequel Jacques Sternberg a beaucoup oeuvré en éditant des anthologies (Un siècle d'humour anglo-américain, Un siècle d'humour français - 1961) et en dirigeant chez Julliard la collection "Humour secret", où il a publié Thurber, Benchley, Robert Price, mais aussi Cami, Pierre Dac et Cavanna. C'est un territoire qu'il a pratiqué aussi en tant qu'auteur dans ses recueils de contes (Contes glacés, Contes griffus), dans son Manuel du parfait petit secrétaire commercial (1960) ou dans son Dictionnaire des idées revues.

Jacques Sternberg a dirigé en 1973-1974 une revue intitulée Mépris ("la revue qui n'a strictement rien à vendre ou à louer") et a joué un rôle important dans la collection Planète en composant de nombreuses anthologies (Les Chefs-d'oeuvre de l'épouvante, de la science-fiction, de l'érotisme, du crime, du dessin d'humour, du rire, du sourire, du kitsch, du fantastique, de la BD, etc.), qui ont eu en leur temps un retentissement considérable, et un magnifique recueil de dessins, Le Tour du monde en 300 gravures. Son intérêt pour l'art graphique s'est également manifesté par des anthologies : Un siècle de pin-up, Un siècle de dessins contestataires, ou par son essai sur Topor (Seghers), qui avait illustré au Terrain vague l'un de ses textes : L'Architecte.

Dans les années 1970-1980, Jacques Sternberg reprend sa plume de romancier, mais dans une veine psychologique, plus apaisée, moins pessimiste, où transparaît souvent sa passion pour la voile : Le Navigateur, Mai 86, Sophie, la mer et la nuit, Suites pour Eveline, Sweet Eveline.

Pamphlétaire (Lettre ouverte aux gens malheureux et qui ont bien raison de l'être), chroniqueur à France Soir, il a écrit aussi des pièces de théâtre (C'est la guerre, monsieur Grüber, Une soirée pas comme les autres), de nombreuses préfaces pour des oeuvres très différentes, des Aventures de Jodelle au Dictionnaire du diable, d'Ambrose Bierce, en passant par César Birotteau, de Balzac, et des fragments d'autobiographie réunis sous le titre très sternbergien de Profession mortel (2001).

Le titre d'un de ses ouvrages paru chez Tchou est une vraie profession de foi : Vivre en survivant : démission, démerde, dérive.
Jacques Baudou

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