samedi, janvier 16, 2010

(70)*De nouveau réunis en famille, Ginette, les parents et moi. Nous sommes dans nos couches respectives, accolées les unes aux autres dans une pièce unique. Un bol de café crème est niché dans mon oreiller. Mon beau-père, en se retournant, y trempe le coude. La colère le prend, parce que j’ai mis le bol à cet endroit. Je me lève et sur le même ton je lui dis:
« C’est ta faute, ce bol était sur mon lit, tu n’as pas à m’accuser de ta maladresse. » Puis je vais dans la cuisine cuver mon ressentiment. Des fioles pharmaceutiques ont coulé dans mon sac. Je les retire une à une pour sauver mes pièces d’identités. Ginette, qui m’a suivie, m’indique des morceaux de papier journal afin d’envelopper lesdites fioles avant de les jeter à la poubelle. Ma mère arrive, déjà pleurnicharde.
« Il ne faut pas parler à mon mari comme ça, tout va me retomber sur la tête !
- C’est parce que tu baisses la tête quand il est méchant qu’il se croit tout permis. N’empêche que c’est un con, et si tu le lui faisais sentir, il ne pourrait plus te faire aussi peur ! »
Notre homme était derrière la porte, il en ouvre le battant, et très souriant :
« Ainsi, je suis un con ?
- Eh oui ! Longtemps j’ai cru que vous étiez intelligent, mais je me suis aperçue que votre premier réflexe était toujours celui d’un con ! Le réflexe d’accuser les autres de vos bêtises et de le leur faire payer méchamment !
- Mais tu en sais des choses ! dit-il en me tapotant la joue.
- Oh oui ! Tenez, il n’y a pas que ce réflexe, chacun en a un différent, par exemple j’avais un ami qui commençait toujours ses phrases par « Biologiquement parlant, tu comprends ! » Il a couché avec toutes mes amies qui se plaignaient de sa muflerie, en particulier au petit matin lorsqu’il en avait fini avec elles et qu’il les chassait froidement à l’heure du premier métro. Quand l’une d’elles me touchait, je disais à Gustave:
« Celle-là, tu ne vas pas la traiter comme les autres.
- Que veux-tu, répondait-il en riant, quand j’ai fini le la-la-la, moi, biologiquement, j’ai besoin de dormir, alors il faut qu’elles partent. »
Le résultat : il a vécu des années avec une horreur, très douce, faisant bien la cuisine, mais avec des cuisses immondes de grosseur. Je me demandais, et ses ex aussi, comment il pouvait. Peut-être que, biologiquement frustré de foyer, il lui a fallu quatre femmes en une. »
Je continue toujours l’exposé à mon beau-père:
« J’ai connu aussi un homme dont le premier réflexe était immanquablement de lâcheté. Il métaphysiquait sur ses bons sentiments, son amoureuse ardeur : « Je préfère qu’on m’arrache la prunelle plutôt que laisser partir la femme que j’aime. Je suis meilleur que les autres, plus drôle, j’ai du génie, et j’ai pitié de tout le monde. » Mais dès qu’on avait un besoin vital de sa compréhension, son dévouement, eh bien ! il fuyait, de peur qu’on écorche sa petite peau, qu’il doive prendre des responsabilités désagréables pour sa tranquillité. Moi-même j’ai été amoureuse de cet homme. Du jour où j’ai compris (dans une circonstance particulièrement dramatique) que sa lâcheté était physiologique, je n'ai jamais plus pu l’aimer de la même façon. Je suis restée amoureuse de lui, mais sans élan, comme si j’étais depuis ce jour dans un cercueil, pour toujours. Nous pouvions nous parler, nous sourire, pleurer. Il pouvait me prendre, m’affirmer son amour, chacun de ses mots ou gestes ne m’atteignait que feutré, d’une résonance irréelle dans le carcan de mon cercueil. Il me nourrissait, me vêtait, mais quand il parlait de sa grande pitié pour les pauvres choses que nous sommes, je savais par expérience qu’il fuirait épouvanté lorsque je me dégagerais de ma prison de bois pour lui réclamer: « Alors, dormons ensemble. » Ou bien : « Prenez-moi dans vos bras pour me consoler de tout ceci. » Il vient me violer mais refuse de me réchauffer le coeur. Et pour assurer sa fuite, il n’omettait jamais de clouer en trois mots la planche du cercueil sur moi, disant « Je ne suis pas le Christ, je ne peux pas porter les malheurs de tout le monde. »

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