mercredi, mars 04, 2009

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Une idée par jour concoctée par un noble vieillard facétieux
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navigation “Détournements” 4 mars, 2009
Posté par walterlewino dans : JEUX, POESIE-LITTERATURE, CULTURE , ajouter un commentaire
Chers amis/camarades vous vous êtes demandé d’où pouvaient bien venir toutes ces gravures. Le texte suivant devrait vous éclairer.
Il s’agit de la préface d’une grande sélection desdites gravures réunies en album qui est en attente d’éditeur.

Remarquable source d’information mis à la disposition d’un peuple rêvant de connaissance et de découverte, « Le Magasin pittoresque » fut créé en 1833. Nos historiens se sont peu intéressés à cette somme inépuisable pour qui veut étudier les goûts, la mentalité et le quotidien de nos ancêtres du XIXe siècle. Au moins à égalité avec les écrits de Hugo, Balzac, Flaubert, Zola, qui font office de référence absolue.
LeXIXe est l’âge d’or des publications dites populaires, l’ancêtre des médias qui triomphent aujourd’hui à la télé, sur la lancée de« Cinq Colonnes à la une ». « Le Magasin pittoresque » fut créé par un saint-simonien, Edouard Charton, qui, s’inspirant de publications anglaises, principalement du « Penny Magazine », entreprit en 1833 de lancer une sorte d’Encyclopédie populaire publiée semaine après semaine pour la modique somme de deux sous ( dix centimes), avant d’être contraint à passer mensuel, puis bimensuel vers 1850
Mariant astucieusement l’avancée scientifique de l’époque à la grandeur du passé et à la découverte de civilisations inconnues, il connut un rapide succès, plus de 100 000 exemplaires vendus. Le grand souci d’Edouard Charton était d’éviter les sujets d’actualité, politiques ou autres, pouvant prêter à controverse. Honneur à l’archéologie, aux découvertes, aux voyages, à l’Histoire, à la vie animale, aux arts, à la science, le tout sous le contrôle d’un grand patron qui veillait à la bonne tenue littéraire et, surtout, morale des articles qui n’étaient pas signés
Ecoutons ce qu’un proche collaborateur, Jules Tissandier, disait : « Tous les jeudis, Edouard Charton donnait ses audiences au premier étage des bureaux d’abonnements. Il se tenait assis devant une table ronde recouverte d’un tapis vert. Le lieu avait un caractère de simplicité monacale. Tous les visiteurs étaient facilement admis : ils s’asseyaient autour de la pièce et venaient tour à tour prendre place à côté de M. Charton. La conversation de chacun était ainsi entendue par tous…. Le Directeur du « Magasin pittoresque » a souvent corrigé lui-même les manuscrits écrits par des mains malhabiles ; il les renvoyaient à leur auteur, en prenant peine de dire quel était leur côté défectueux et ce qu’il y avait à faire pour en améliorer la forme… ».
Quelle leçon d’humilité et de professionnalisme. A sa manière ce fut le précurseur du journalisme moderne.
Jean Aicard, George Sand, Camille Flammarion… y firent anonymement leurs premiers pas de journaliste. Jules Verne s’en inspira pour certains de ses romans
Charton quitta la direction du « Magasin pittoresque » peu de temps avant son décès en 1890. Entre temps il a participé à la création de « l’Illustration » en 1843, dont il préféra démissionner dix plus tard devant la direction franchement politique et élitiste que prenait la publication. Puis en 1860, infatigable travailleur, il lança le « Tour du monde », magazine principalement axé sur la découverte des autres civilisations vivantes
Mais le grand mérite d’Edouard Charton, personnage étonnant, aujourd’hui oublié, est d’avoir compris l’importance de l’illustration. Il disait volontiers vouloir « parler aux yeux pour arriver plus sûrement à l’esprit », sa version du bien connu « un petit dessin vaut mieux qu’un long discours ». Et de fait, il n’eut de cesse de trouver en ce début du XIXe siècle des dessinateurs et surtout des graveurs à la hauteur de ses ambitions. Encouragé par l’éditeur Firmin Didot, il alla en chercher jusqu’en Angleterre où s’imposait le grand Thomas Benwick. Et peu à peu il finit par imposer ses vues.
Les dessins et les gravures sur bois de bout (en deux mots s’il vous plaît) sont l’équivalent de nos photos actuelles. Moins saisies sur le vif, elles ont l’avantage de mettre en valeur l’élément parlant du sujet qu’elles entendent représenter. Pas de problème d’effet de lumière esthétisante pour elles. Si le contre-jour convient, elles ne s’en privent pas ; s’il faut mettre en valeur un visage elles en accentuent délicatement les traits ; si l’arrière-fond est à la fois secondaire et nécessaire, on le présente en demi-teinte. Les grands graveurs restèrent fidèles à la technique du bois de bout , usant soit du buis, le plus ferme, le plus précis, au pommier ou au poirier sauvage, plus tendres et plus sensuels au moment de la coupe au burin. Bientôt s’imposèrent la taille douce sur cuivre puis l’eau forte et la litho, premier pas vers la photogravure.
L’illustrateur est maître de chaque parcelle de sa production, il peut retoucher, recommencer quand bon lui semble. C’est tout l’avantage de l’artisanat. L’imaginaire est son maître et inspirateur. Parfois il grave lui-même, parfois il s’en remet à ces graveurs professionnels dont la dextérité est surprenante pour nous qui ne croyons plus qu’à la technique informatisée. Ils savent que l’oeil qui regarde demande moins de signifié que de signifiant, en un mot que leur cliché demeure soumis l’histoire et non son inspirateur comme souvent la photo de nos jours. L’instant pour eux n’est pas symbole, mais uniquement modeste témoin. Se retrouvent chez elles toutes les leçons des grands maîtres du passé ; art de la mise en situation, souci de l’expression intériorisée, harmonie des lignes qui se rejoignent et se complètent.
C’est la fin d’une époque. Bientôt la photographie va s’imposer. Avec son instantanéité aveugle, sa précision et non son sens de l’évocation, jouant de l’instant et négligeant les raisons d’être, triomphant dans l’esthétisme m’as-tu-vu et plutôt que dans le simple témoignage, célébrant l’ère du presse-bouton de préférence à celle du presse-citron. Certaines de ces illustrations, pourtant, étaient de véritables mini-chefs-d’œuvre. Pas étonnant que Gavarni, Cham, Gustave Doré, Granville… y participèrent au début de leurs brillantes carrières et même après.
Parmi les meilleurs illustrateurs moins connus on retrouve : Johannot, Pisan, Lavoignat , Thérond, Girardet, Lavée, Lix…
N’oublions pas les graveurs, hélas la plupart du temps anonymes : Riou, Benett, Pinnaker, Ravenel, Castelli, Touillant …
La presse à l’époque était multiple. A côté du « Magasin pittoresque » se sont rapidement retrouvés « L’Illustration » plus porté sur l’actualité, le respect aux grands personnages de l’époque, surtout quand ils sont au pouvoir, et qui survécu jusqu’en 1957, s’étant rapidement convertie à la photographie. Elle fut attaquée sur ses deux flancs, d’abord par « Le Journal illustré » nettement plus populaire (15 centimes l’exemplaire contre 75) puis par « Le Monde Illustré » qui jouait la qualité intellectuelle (63 centimes ). Il faut aussi citer « Journal du Dimanche », rien avoir avec l’actuel, qui était spécialiste des feuilletons ; « Les Merveilles de la science » de Louis Figuier ; « Le Musée des familles » créé par Emile de Girardin, destiné à une clientèle bourgeoise et catholique, qui publia des feuilletons signés Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Jules Verne ; « Le Tour du monde » dont nous avons déjà parlé ; « Veillées des chaumières » délicieusement populaire bourrées de feuilletons édifiants ; « La Mosaïque » portée sur l’illustration, et toute une série de suppléments des quotidiens qui s’engouffrèrent dans la brèche dont le premier et le plus réussi fut celui du « Petit Journal » ; Côté gaudriole on retrouve « Le Journal pour rire », où Gustave Doré fit ses premières armes.
Le modeste album que nous présentons se veut passerelle entre passé et présent. Nous y avons détourné de ses gravures parmi les plus pittoresques, sans nous préoccuper de leur fonction première, afin de leur redonner une vie qu’elles ne méritaient pas d’avoir perdue. Un peu à la manière des surréalistes, principalement Max Ernst et ses « Femmes cent tête », de Jacques Prévert, des situationnistes et même de « Harakiri » à ses débuts, il nous a semblé plaisant de les accommoder à une sauce moderniste en attendant qu’un historien se penche sur ces trésors irremplaçables de la sensibilité populaire d’une époque à qui nous devons tant.
WALTER LEWINO

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